Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/165

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ignore ces jeux de la fantaisie et ces variations de l’espèce humaine ; il ne connaît qu’un homme, celui de tous les temps. Le poète n’a jamais songé que la terre tourne autour du soleil ; il est indifférent aux affaires publiques, négligent des siennes ; c’est assez pour lui des ouvrages de la nature. Le plus petit être, la moindre créature, par cela seul qu’ils existent, excitent sa curiosité. Le grand Gœthe quittait sa plume pour examiner un caillou et le regarder des heures entières ; il savait qu’en toute chose réside un peu du secret des dieux. Ainsi fait le poète, et les êtres inanimés eux-mêmes lui semblent des pensées muettes. Tandis que des rêveurs qui divaguent cherchent à satisfaire leur exaltation par des déclamations ampoulées et par un vain cliquetis de mots, il contemple ardemment la forme de la matière, et s’exerce à entrer dans la sève du monde. Regarder, sentir, exprimer, voilà sa vie ; tout lui parle il cause avec un brin d’herbe dans tous les contours qui frappent ses yeux, même dans les plus difformes, il puise et nourrit incessamment l’amour de la suprême beauté ; dans tous les sentiments qu’il éprouve, dans toutes les actions dont il est témoin, il cherche la vérité éternelle et tel il est né, tel il meurt, dans sa simplicité première ; arrivé au terme de sa gloire, le dernier regard qu’il jette sur ce monde est encore celui d’un enfant.

1839.