Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/318

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un an, avec toutes mes habitudes. J’ai quitté tout ce qui m’entourait, mes amis, mes amies, le courant d’eau où je vivais, et une des plus jolies femmes de Paris. Je n’ai pas réussi, bien entendu, dans ma sotte vision, et aujourd’hui, je me retrouve guéri, il est vrai, mais à sec, comme un poisson au milieu d’un champ de blé ; or, je n’ai jamais pu, je ne puis ni ne pourrai vivre ainsi seul, ni convenir que c’est vivre. J’aimerais autant être un Anglais. Voilà toute ma peine. Vous voyez que je ne suis ni blasé, ni ennuyé sans motif, mais purement et simplement désœuvré. Je ne me crois pas très difficile à guérir ; cependant je ne serais pas non plus très facile. Je n’ai jamais été banal. Ce qu’on appelle les femmes du monde, d’une part, me font l’effet de jouer une comédie dont elles ne savent pas même les rôles. D’un autre côté, mes amours perdues m’ont laissé quelques cicatrices qui ne s’effaceraient pas avec de l’onguent miton-mitaine. Ce qu’il me faudrait, c’est une femme qui fût quelque chose, n’importe quoi ou très belle, ou très bonne, ou très méchante, à la rigueur, ou très spirituelle, ou très bête, mais quelque chose. En connaissez-vous, madame ? tirez-moi par la manche, je vous prie, quand vous en rencontrerez une. Pour moi, je ne vois rien de rien. Croyez, madame, à ma bien sincère et respectueuse amitié.

A. de Musset.
Jeudi (septembre ou octobre 1840).