Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/40

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Quatre mois sont un délai raisonnable après lequel un chagrin d’amour peut s’apaiser. La jeunesse et l’imprévu vinrent achever brusquement la guérison commencée par le temps, le travail et les consolations de l’amitié. Le type aujourd’hui disparu de la grisette parisienne n’était pas encore introuvable en 1836. Vis-a-vis de la chambre où l’amant sacrifié d’Emmeline enfermait sa mélancolie, demeurait une jeune fille désœuvrée, souvent à sa fenêtre et qui regardait beaucoup son voisin. Bernerette ne possédait au monde que ses dix-neuf ans et sa beauté. Un jour de printemps elle jeta son cœur par la fenêtre, et le voisin le ramassa. C’est ainsi que Gilbert se transforma en Frédéric. Cette folie de jeunesse et ces amours d’étudiant ont fourni, plus tard, le sujet d’un récit des plus touchants. Comme pour celui d’Emmeline, il ne faut chercher l’exactitude que dans les sentiments. Malgré son culte pour la vérité, l’auteur est artiste avant tout. Quelques détails sont vrais, beaucoup sont inventés. Vouloir les distinguer les uns des autres serait une chose impossible. Ce qu’on peut éliminer avec assurance de l’histoire de Bernerette, c’est le dénoûment tragique. La jolie grisette quitta Paris et s’envola dans l’espace, non sans verser bien des larmes ; mais elle n’en mourut pas, et peut-être vit-elle encore.

Il est aisé de voir, par les productions d’Alfred de Musset, en 1836, qu’il jouissait alors d’une grande liberté de cœur et d’esprit ; c’est d’abord Il ne faut jurer de rien, l’une de ses comédies les plus applaudies ; bientôt après vient la Nuit d’août, où le poète se fait gronder par la Muse, afin de pouvoir lui répondre victorieusement ; puis les Stances sur la mort de la Malibran, dans lesquelles il eut le bonheur