Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/70

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Les genoux tout tremblants et le front sur la pierre.
Tout à coup il s’arrête, il se lève, et ses yeux
Se clouaient à la terre et sa pensée aux cieux.

Voici que, sur l’autel couvert de draps funèbres,
Les lugubres flambeaux ont rompu les ténèbres,
Et les prêtres debout, comme de noirs cyprès,
S’assemblent, étonnés des sinistres apprêts.
Et les vieux serviteurs disaient « Qui donc va naître
Ou mourir ? » et pourtant priaient sans le connaître ;
Car les sombres clochers s’agitaient à grand bruit,
Et semblaient deux géants qui pleurent dans la nuit.
Tous frappaient leur poitrine et respiraient à peine.
Sous les larmes d’argent le sépulcre d’ébène
S’ouvrait, lit nuptial par la mort apprêté,
Où la vie en ses bras reçoit l’éternité.
Alors un spectre vint, se traînant aux murailles,
Livide, épouvanter les mornes funérailles,
Maigre et les yeux éteints, et son pied, sur le seuil
De granit, chancelait dans les plis d’un linceul.
« Qui d’entre vous, dit-il, me respecte et m’honore ?
(Et sa voix sur l’écho de la voûte sonore
Frappait comme le pas d’un hardi cavalier.)
Qu’il s’en vienne avec moi dormir sous un pilier !
Je m’y couche, et j’attends que m’y suive qui m’aime.
Pour ceux qui m’ont haï, je les suivrai moi-même ;
Ils y sont. — Prions donc pour mes crimes passés ;
Pleurons et récitons l’hymne des trépassés ! »