Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/268

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jamais ? Est-ce à moi que s’adressent tes folies, ou est-ce au hasard que tu parles ?

Fantasio.

C’est au hasard, je parle beaucoup au hasard : c’est mon plus cher confident.

Elsbeth.

Il semble en effet t’avoir appris ce que tu ne devrais pas connaître. Je croirais volontiers que tu épies mes actions et mes paroles.

Fantasio.

Dieu le sait. Que vous importe ?

Elsbeth.

Plus que tu ne peux penser. Tantôt dans cette chambre, pendant que je mettais mon voile, j’ai entendu marcher tout à coup derrière la tapisserie. Je me trompe fort si ce n’était toi qui marchais.

Fantasio.

Soyez sûre que cela reste entre votre mouchoir et moi. Je ne suis pas plus indiscret que je ne suis curieux. Quel plaisir pourraient me faire vos chagrins ? quel chagrin pourraient me faire vos plaisirs ? Vous êtes ceci, et moi cela. Vous êtes jeune, et moi je suis vieux ; belle, et je suis laid ; riche, et je suis pauvre. Vous voyez bien qu’il n’y a aucun rapport entre nous. Que vous importe que le hasard ait croisé sur sa grande route deux roues qui ne suivent pas la même ornière, et qui ne peuvent marquer sur la même poussière ?