Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/338

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arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance, et le masque de plâtre que les nonnes t’ont plaqué sur les joues, me refusait un baiser de frère ; mais ton cœur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t’asseoir sur l’herbe où nous voilà. [Eh bien ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t’ont mise dans le vrai chemin ; il pourra m’en coûter le bonheur de ma vie ; mais dis-leur cela de ma part : le ciel n’est pas pour elles.

Camille.

Ni pour moi, n’est-ce pas ?

Perdican.]

Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux [ou lâches, méprisables et sensuels] ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses[, curieuses et dépravées] ; le monde n’est qu’un égout sans fond [où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange] ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits [et si affreux]. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord