Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/88

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au cimetière avec la dépouille du vieux Grémio ; l’autre reste, et c’est lui qui te parle ici.

Cordiani, pleurant.

André ! André !

André.

Est-ce sur moi ou sur toi que tu pleures ? J’ai une faveur à te demander. Grâce à Dieu, il n’y a point eu d’éclat [cette nuit]. Grâce à Dieu, j’ai vu la foudre tomber sur mon édifice de vingt ans, sans proférer une plainte et sans pousser un cri. Si le déshonneur était public, ou je t’aurais tué, ou nous irions nous battre demain. Pour prix du bonheur, le monde accorde la vengeance, et le droit de se servir de cela doit tout (Jetant son stylet.) remplacer pour celui qui a tout perdu. Voilà la justice des hommes ; encore n’est-il pas sûr, si tu mourais de ma main, que ce ne fût pas toi que l’on plaindrait.

Cordiani.

Que veux-tu de moi ?

André.

Si tu as compris ma pensée, tu sens que je n’ai vu ici ni un crime odieux, ni une sainte amitié foulée aux pieds ; je n’y ai vu qu’un coup de ciseau donné au seul lien qui m’unisse à la vie. Je ne veux pas songer à la main dont il est venu. L’homme à qui je parle n’a pas de nom pour moi. Je parle au meurtrier de mon honneur, de mon amour et de mon repos. La blessure qu’il m’a faite peut-elle être guérie ? Une séparation éternelle,