Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/104

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Philippe.

Parle-moi franchement.

Pierre.

Cela est entre nous. Nous sommes là une cinquantaine, les Ruccellai et d’autres, qui ne portons pas le bâtard dans nos entrailles.

Philippe.

Ainsi donc ?

Pierre.

Ainsi donc les avalanches se font quelquefois au moyen d’un caillou gros comme le bout du doigt.

Philippe.

Mais vous n’avez rien d’arrêté ? pas de plan, pas de mesures prises ? ô enfants, enfants ! jouer avec la vie et la mort ! Des questions qui ont remué le monde ! des idées qui ont blanchi des milliers de têtes, et qui les ont fait rouler comme des grains de sable sur les pieds du bourreau ! des projets que la Providence elle-même regarde en silence et avec terreur, et qu’elle laisse achever à l’homme, sans oser y toucher ! Vous parlez de tout cela en faisant des armes et en buvant un verre de vin d’Espagne, comme s’il s’agissait d’un cheval ou d’une mascarade ! Savez-vous ce que c’est qu’une république, que l’artisan au fond de son atelier, que le laboureur dans son champ, que le citoyen sur la place, que la vie entière d’un royaume ? le bonheur des hommes, Dieu de justice ! Ô enfants, enfants ! savez-vous compter sur vos doigts ?