Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/213

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Philippe.

N’avez-vous pas été heureux autrement que par ce meurtre ? Quand vous ne devriez faire désormais qu’un honnête homme, qu’un artiste, pourquoi voudriez-vous mourir ?

Lorenzo.

Je ne puis que vous répéter mes propres paroles : Philippe, j’ai été honnête. Peut-être le redeviendrais-je sans l’ennui qui me prend. J’aime encore le vin et les femmes ; c’est assez, il est vrai, pour faire de moi un débauché, mais ce n’est pas assez pour me donner envie de l’être. Sortons, je vous en prie.

Philippe.

Tu te feras tuer dans toutes ces promenades.

Lorenzo.

Cela m’amuse de les voir. La récompense est si grosse, qu’elle les rend presque courageux. Hier, un grand gaillard à jambes nues m’a suivi un gros quart d’heure au bord de l’eau, sans pouvoir se déterminer à m’assommer. Le pauvre homme portait une espèce de couteau long comme une broche ; il le regardait d’un air si penaud qu’il me faisait pitié ; c’était peut-être un père de famille qui mourait de faim.

Philippe.

Ô Lorenzo, Lorenzo ! ton cœur est très malade. C’était sans doute un honnête homme : pourquoi attribuer à la lâcheté du peuple le respect pour les malheureux ?