Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/12

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ils se souvinrent d’avoir vu le soir, à la veillée, leurs aïeules branler la tête et parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’empereur. Il y avait pour eux dans ce mot de liberté quelque chose qui leur faisait battre le cœur à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore.

Ils tressaillirent en l’entendant ; mais, en rentrant au logis, ils virent trois paniers qu’on portait à Clamart : c’étaient trois jeunes gens qui avaient prononcé trop haut ce mot de liberté.

Un étrange sourire leur passa sur les lèvres à cette triste vue ; mais d’autres harangueurs, montant à la tribune, commencèrent à calculer publiquement ce que coûtait l’ambition, et que la gloire était bien chère ; ils firent voir l’horreur de la guerre et appelèrent boucheries les hécatombes. Et ils parlèrent tant et si longtemps que toutes les illusions humaines, comme des arbres en automne, tombaient feuille à feuille autour d’eux, et que ceux qui les écoutaient passaient leur main sur leur front, comme des fiévreux qui s’éveillent.

Les uns disaient : Ce qui a causé la chute de l’empereur, c’est que le peuple n’en voulait plus ; les autres : Le peuple voulait le roi ; non, la liberté ; non, la raison ; non, la religion ; non, la constitution anglaise ; non, l’absolutisme ; un dernier ajouta : Non ! rien de tout cela, mais le repos. [Et ils continuèrent ainsi, tantôt raillant, tantôt disputant, pendant nombre d’années, et,