Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/121

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s’est accompli dans les entrailles qui l’ont conçue. Un pareil être coûte à la nature ses plus vigilants regards maternels, cependant l’homme qui veut te guérir n’a rien trouvé de mieux que de te pousser sur ses lèvres, pour y désapprendre à aimer.

Comment cela se fait-il ? D’autres que toi l’ont admirée sans doute ; mais ils ne couraient aucun risque ; elle pouvait essayer sur eux toutes les séductions qu’elle voulait ; toi seul étais en danger.

Il faut pourtant, quelle que soit sa vie, que ce Desgenais ait un cœur puisqu’il vit. En quoi diffère-t-il de toi ? C’est un homme qui ne croit à rien, ne craint rien, qui n’a ni un souci, ni un ennui peut-être, et il est clair qu’une légère piqûre au talon le remplirait de terreur ; car si son corps l’abandonnait, que deviendrait-il ? Il n’y a en lui de vivant que le corps. Quelle est donc cette créature qui traite son âme comme les flagellants leur chair ? Est-ce qu’on peut vivre sans tête ?

Pense à cela. Voilà un homme qui a dans les bras la plus belle femme du monde ; il est jeune et ardent ; il la trouve belle, il le lui dit ; elle lui répond qu’elle l’aime. Là-dessus, quelqu’un lui frappe sur l’épaule, et lui dit : C’est une fille. Rien de plus ; il est sûr de lui. Si on lui avait dit : C’est une empoisonneuse, il l’eût peut-être aimée ; il ne lui en donnera pas un baiser de moins ; mais c’est une fille, et il ne sera pas plus question d’amour que de l’étoile de Saturne.

Qu’est-ce que c’est donc que ce mot-là ? un mot