Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/128

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temps que j’étais plein de désirs et que mon imagination exaltée m’emportait hors de toutes limites. Je commençai à dire que je ne pouvais faire aucun cas des femmes ; ma tête s’épuisait en chimères que je disais préférer à la réalité. Enfin mon unique plaisir était de me dénaturer. Il suffisait qu’une pensée fût extraordinaire, qu’elle choquât le sens commun, pour que je m’en fisse aussitôt le champion, au risque d’avancer les sentiments les plus blâmables.

Mon plus grand défaut était l’imitation de tout ce qui me frappait, non pas par sa beauté, mais par son étrangeté ; et ne voulant pas m’avouer imitateur, je me perdais dans l’exagération, afin de paraître original. À mon gré, rien n’était bon, ni même passable ; rien ne valait la peine de tourner la tête ; cependant, dès que je m’échauffais dans une discussion, il semblait qu’il n’y eût pas dans la langue française d’expression assez ampoulée pour louer ce que je soutenais ; mais il suffisait de se ranger à mon avis pour faire tomber toute ma chaleur.

C’était une suite naturelle de ma conduite. Dégoûté de la vie que je menais, je ne voulais pourtant pas en changer ;

Simigliante a quella ’nferma
Che non puô trovar posa in su le piume,
Ma con dar volta suo dolore scherma[1].

Dante.
  1. Semblable au malade qui ne trouve pas de repos dans son lit, mais qui, en se retournant, secoue ses souffrances.