Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/130

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d’une belle cantatrice qui nous charmait par sa voix fraîche et mélancolique. Que de fois nous sommes restés, assis en cercle, à l’écouter, tandis que la table était dressée ! Que de fois l’un de nous, au moment où les flacons se débouchaient, tenait à la main un volume de Lamartine et lisait d’une voix émue ! Il fallait voir alors comme toute autre pensée disparaissait ! Les heures s’envolaient pendant ce temps-là ; et quand nous nous mettions à table, les singuliers libertins que nous faisions ! Nous ne disions mot, et nous avions des larmes dans les yeux.

Desgenais surtout, le plus froid et le plus sec des hommes à l’habitude, était incroyable ces jours-là. Il se livrait à des sentiments si extraordinaires, qu’on eût dit un poète en délire. Mais, après ces expansions, il arrivait qu’il se sentait pris d’une joie furieuse. Il brisait tout dès que le vin l’avait échauffé ; le génie de la destruction lui sortait tout armé de la tête, et je l’ai vu quelquefois, au milieu de ses folies, lancer une chaise dans une fenêtre fermée avec un vacarme à faire sauver.

Je ne pouvais m’empêcher de faire de cet homme bizarre un sujet d’étude. Il me paraissait comme le type marqué d’une classe de gens qui devaient exister quelque part, mais qui m’étaient inconnus. On ne savait, lorsqu’il agissait, si c’était le désespoir d’un malade ou la lubie d’un enfant gâté.

Il se montrait particulièrement les jours de fête dans un état d’excitation nerveuse qui le poussait à