Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/139

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elle-même, et voltige autour d’elle comme le parfum des aloès sur l’encensoir qui se balance au vent ?

J’étais frappé d’une stupeur profonde. Qu’une semblable ivresse existât quand on aime, cela ne m’était pas nouveau ; je savais ce que c’était que cette auréole dont rayonne la bien-aimée. Mais exciter de tels battements de cœur, évoquer de pareils fantômes, rien qu’avec sa beauté, des fleurs et la peau bigarrée d’une bête féroce ! avec de certains mouvements, une certaine façon de tourner en cercle, qu’elle a apprise de quelque baladin, avec les contours d’un beau bras ; et cela sans une parole, sans une pensée, sans qu’elle daigne paraître le savoir ! Qu’était donc le chaos, si c’est là l’œuvre des sept jours ?

Ce n’était pourtant pas de l’amour que je ressentais, et je ne puis dire autre chose sinon que c’était de la soif. Pour la première fois de ma vie je sentais vibrer dans mon être une corde étrangère à mon cœur. La vue de ce bel animal en avait fait rugir un autre dans mes entrailles. [Je me tâtais comme pour m’éveiller ; j’appelais à mon secours ma vie passée.] Je sentais bien que je n’aurais pas dit à cette femme que je l’aimais, ni qu’elle me plaisait, ni même qu’elle était belle ; il n’y avait rien sur mes lèvres que l’envie de baiser les siennes, de lui dire : Ces bras nonchalants, fais-m’en une ceinture ; cette tête penchée, appuie-la sur moi ; ce doux sourire, colle-le sur ma bouche. Mon corps aimait le sien ; j’étais pris de beauté comme on est pris de vin.