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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/161

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CHAPITRE II


Une petite grille de bois entourait la tombe de mon père. Selon sa volonté expresse, manifestée depuis longtemps, il avait été enterré dans le cimetière du village. Tous les jours j’y allais, et je passais une partie de la journée sur un petit banc placé dans l’intérieur du tombeau. Le reste du temps, je vivais seul, dans la maison même où il était mort, et je n’avais avec moi qu’un seul domestique.

Quelque douleur que puissent causer les passions, il ne faut pas comparer les chagrins de la vie avec ceux de la mort. La première chose que j’avais sentie en m’asseyant auprès du lit de mon père, c’est que j’étais un enfant sans raison, qui ne savais rien et ne connaissais rien ; je puis dire même que mon cœur ressentit de sa mort une douleur physique, et je me courbais quelquefois en tordant mes mains comme un apprenti qui s’éveille.

Pendant les premiers mois que je demeurai à cette campagne, il ne me vint à l’esprit de songer ni au passé ni à l’avenir. Il ne me semblait pas que ce fût moi qui eusse vécu jusqu’alors ; ce que j’éprouvais