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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/167

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mon père, et, recherchant soigneusement sur le sien les moindres occupations de sa vie, je pris à tâche de m’y conformer. Ainsi, à chaque instant de la journée, l’horloge qui sonnait me faisait venir les larmes aux yeux. — Voilà, me disais-je, ce que faisait mon père à cette heure ; et que ce fût une lecture, une promenade ou un repas, je n’y manquais jamais. Je m’habituai de cette manière à une vie calme et régulière ; il y avait dans cette exactitude ponctuelle un charme infini pour mon cœur. Je me couchais avec un bien-être que ma tristesse même rendait plus agréable. Mon père s’occupait aussi de jardinage ; le reste du jour, l’étude, la promenade, une juste répartition entre les exercices du corps et ceux de l’esprit. En même temps, j’héritais de ses habitudes de bienfaisance et continuais à faire pour les malheureux ce qu’il faisait lui-même. Je commençai à rechercher dans mes courses les gens qui avaient besoin de moi ; il n’en manquait pas dans la vallée. Bientôt je fus connu des pauvres ; le dirai-je ? oui, je le dirai hardiment : là où le cœur est bon, la douleur est saine. Pour la première fois de ma vie j’étais heureux ; Dieu bénissait mes larmes, et la douleur m’apprenait la vertu.