Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/233

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preuve qu’elle en était digne. Était-il donc possible que ces quatre mois si heureux ne fussent déjà qu’un rêve ?

— Mais après tout, me dis-je tout à coup, cette femme s’est donnée bien vite. N’y aurait-il point eu de mensonge dans cette intention de me fuir qu’elle m’avait d’abord marquée et qu’une parole a fait évanouir ? N’aurais-je point par hasard affaire à une femme comme on en voit tant ? Oui, c’est ainsi qu’elles s’y prennent toutes ; elles feignent de reculer afin de se voir poursuivre. Les biches elles-mêmes en font autant ; c’est un instinct de la femelle. N’est-ce pas de son propre mouvement qu’elle m’a avoué son amour, au moment même où je croyais qu’elle ne serait jamais à moi ? Dès le premier jour que je l’ai vue, n’a-t-elle pas accepté mon bras, sans me connaître, avec une légèreté qui aurait dû me faire douter d’elle ? Si ce Dalens a été son amant, il est probable qu’il l’est encore ; ce sont de ces liaisons du monde qui ne commencent ni ne finissent ; quand on se voit on se reprend, et dès qu’on se quitte on s’oublie. Si cet homme revient aux vacances, elle le reverra sans doute, et probablement sans rompre avec moi. Qu’est-ce que c’est que cette tante, que cette vie mystérieuse qui a la charité pour affiche, que cette liberté déterminée qui ne se soucie d’aucun propos ? Ne seraient-ce point des aventurières que ces deux femmes avec leur petite maison, leur prud’homie et leur sagesse qui en imposent si vite aux gens et se démentent plus