Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/283

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— Brigitte, lui dis-je, dites-moi adieu. J’emporte cette boîte ; vous m’oublierez et vous vivrez, si vous voulez m’épargner un meurtre. Je partirai cette nuit même, et ne vous demande point de pardon ; vous me l’accorderiez que Dieu n’en voudrait pas. Donnez-moi un dernier baiser.

Je me penchai sur elle et la baisai au front. — Pas encore ! s’écria-t-elle avec angoisse. Mais je la repoussai sur le sofa et m’élançai hors de la chambre.

Trois heures après, j’étais prêt à partir, et les chevaux de poste étaient arrivés. La pluie tombait toujours, et je montai à tâtons dans la voiture. Au même instant, le postillon partit ; je sentis deux bras qui me serraient le corps, et un sanglot qui se collait sur ma bouche.

C’était Brigitte. Je fis tout au monde pour la décider à rester ; je criai qu’on arrêtât ; je lui dis tout ce que je pus imaginer pour lui persuader de descendre ; j’allai même jusqu’à lui promettre que je reviendrais un jour à elle, lorsque le temps et les voyages auraient effacé le souvenir du mal que je lui avais fait. Je m’efforçai de lui prouver que ce qui avait été hier serait encore demain ; je lui répétai que je ne pouvais que la rendre malheureuse, que s’attacher à moi, c’était faire de moi un assassin. J’employai la prière, les serments, la menace même ; elle ne me répondit qu’un mot : — Tu pars, emmène-moi ; quittons le pays, quittons le passé. Nous ne pouvons plus vivre ici ; allons ailleurs, où tu voudras ;