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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/314

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semaine pour notre séjour à Paris. Elle jouait un de ces anciens airs où elle mettait tant d’expression et qui m’avaient été si chers. Je m’arrêtai dans l’antichambre près de la porte, qui était ouverte ; chaque note m’entrait dans l’âme ; jamais elle n’avait chanté si tristement et si saintement.

Smith l’écoutait avec délices ; il était à genoux, tenant la boucle du porte-manteau. Il la froissa, puis la laissa tomber, et regarda les hardes qu’il venait de plier lui-même et de couvrir d’un linge blanc. L’air terminé, il resta ainsi ; Brigitte, les mains sur le clavier, regardait au loin l’horizon. Je vis pour la seconde fois tomber des larmes des yeux du jeune homme ; j’étais près d’en verser moi-même, et, ne sachant ce qui se passait en moi, j’entrai et lui tendis la main.

— Étiez-vous là ? demanda Brigitte. Elle tressaillit et parut surprise.

— Oui, j’étais là, lui répondis-je. Chantez, ma chère, je vous en supplie. Que j’entende encore votre voix !

Elle recommença sans répondre ; c’était aussi pour elle un souvenir. Elle voyait mon émotion, celle de Smith ; sa voix s’altéra. Les derniers sons, à peine articulés, semblèrent se perdre dans les cieux ; elle se leva et me donna un baiser. Smith tenait encore ma main ; je le sentis me la serrer avec force et convulsivement ; il était pâle comme la mort.

Un autre jour, j’avais apporté un album lithographié