Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/317

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CHAPITRE IV


Mon cœur me criait de partir, et cependant je tardais toujours ; une volupté secrète et amère me clouait le soir à ma place. Quand Smith devait venir, je n’avais point de repos que je n’eusse entendu le bruit de la sonnette. Comment se fait-il qu’il y ait ainsi en nous je ne sais quoi qui aime le malheur ?

Chaque jour, un mot, un éclair rapide, un regard, me faisaient frémir ; chaque jour, un autre mot, un autre regard, par une impression contraire, me rejetaient dans l’incertitude. Par quel mystère inexplicable les voyais-je si tristes tous deux ? Par quel autre mystère restais-je immobile, comme une statue, à les regarder, lorsque, dans plus d’une occasion semblable, je m’étais montré violent jusques à la fureur ? Je n’avais pas la force de bouger, moi qui m’étais senti en amour de ces jalousies presque féroces, comme on en voit en Orient. Je passais mes journées à attendre, et je n’aurais pu dire ce que j’attendais. Je m’asseyais le soir sur mon lit, et je me disais : Voyons, pensons à cela. Je mettais ma tête dans mes mains, puis je m’écriais : C’est impossible ! et je recommençais le jour suivant.