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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/350

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sa honte ; il n’aura plus ni joie ni sommeil, il ne vivra que pour se souvenir qu’il eût pu vivre autrefois heureux. Mais, ce jour-là, sa maîtresse orgueilleuse pâlira peut-être de se voir vengée ; elle se dira : Si je l’avais fait plutôt ! Et, croyez-moi, si elle a aimé, l’orgueil ne la consolera pas.

J’avais voulu parler avec calme, mais je n’étais plus maître de moi ; à mon tour, je marchais avec agitation. Il y a de certains regards qui sont de vrais coups d’épée ; ils se croisent comme le fer : c’étaient de ceux-là que Brigitte et moi nous échangions en ce moment. Je la regardais comme un prisonnier regarde la porte d’un cachot. Pour briser le sceau qu’elle avait sur les lèvres et pour la forcer à parler, j’aurais exposé ma vie et la sienne.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle, que voulez-vous que je vous dise ?

— Ce que vous avez dans le cœur. N’êtes-vous pas assez cruelle de me le faire répéter ainsi ?

— Et vous, et vous, s’écria-t-elle, n’êtes-vous pas plus cruel cent fois ? — Ah ! bien insensé, dites-vous, qui veut savoir la vérité ! — Folle, puis-je dire à mon tour, qui peut espérer qu’on la croie ! Vous voulez savoir mon secret, et mon secret, c’est que je vous aime. Folle que je suis ! vous en cherchez un autre. Cette pâleur qui me vient de vous, vous l’accusez, vous l’interrogez. Folle ! j’ai voulu souffrir en silence, vous consacrer ma résignation ; j’ai voulu vous cacher mes larmes ; vous