Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/357

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CHAPITRE VI


Brigitte dormait. Muet, immobile, j’étais assis à son chevet. Comme un laboureur, après un orage, compte les épis d’un champ dévasté, ainsi je commençai à descendre en moi-même et à sonder le mal que j’avais fait.

Je n’y eus pas plus tôt pensé que je le jugeai irréparable. Certaines souffrances, par leur excès même, nous avertissent de leur terme, et plus j’éprouvais de honte et de remords, plus je sentis qu’après une telle scène il ne restait qu’à nous dire adieu. Quelque courage que pût avoir Brigitte, elle avait bu jusqu’à la lie la coupe amère de son triste amour ; si je ne voulais la voir mourir, il fallait qu’elle s’en reposât. Il était arrivé souvent qu’elle m’eût fait de cruels reproches, et elle y avait peut-être mis jusqu’alors plus de colère que cette fois ; mais, cette fois, ce qu’elle m’avait dit, ce n’étaient plus de vaines paroles dictées par l’orgueil offensé, c’était la vérité qui, refoulée au fond du cœur, l’avait brisé pour en sortir. La circonstance où nous nous trouvions et mon refus de partir avec elle rendaient d’ailleurs tout espoir impossible ; elle aurait voulu pardonner qu’elle