Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/367

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Mais, qui sait ? tu es jeune encore. Plus tu te fieras à ton cœur, plus ton orgueil doit t’égarer. Te voilà aujourd’hui devant la première ruine que tu vas laisser sur ta route. Que Brigitte meure demain, tu pleureras sur son cercueil ; où iras-tu en la quittant ? Tu partiras pour trois mois peut-être, et tu feras un voyage en Italie ; tu t’envelopperas dans ton manteau comme un Anglais travaillé du spleen, et tu te diras quelque beau matin, au fond d’une auberge, après boire, que tes remords sont apaisés et qu’il est temps d’oublier pour revivre. Toi qui commences à pleurer trop tard, prends garde de ne plus pleurer un jour. Qui sait ? qu’on vienne à te railler sur ces douleurs que tu croies senties ; qu’un jour, au bal, une belle femme sourie de pitié quand on lui contera que tu te souviens d’une maîtresse morte ; n’en pourrais-tu pas tirer quelque gloire, et t’enorgueillir tout à coup de ce qui te navre aujourd’hui ? Quand le présent, qui te fait frissonner, et que tu n’oses regarder en face, sera devenu le passé, une vieille histoire, un souvenir confus, ne pourrais-tu par hasard te renverser quelque soir sur ta chaise, dans un souper de débauchés, et raconter, le sourire sur les lèvres, ce que tu as vu les larmes aux yeux ? C’est ainsi qu’on boit toute honte, c’est ainsi qu’on marche ici-bas. Tu as commencé par être bon ; tu deviens faible, et tu seras méchant.

Mon pauvre ami, me dis-je du fond du cœur, j’ai un conseil à te donner : c’est que je crois qu’il te faut