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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/79

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mais vous êtes le meilleur des hommes. Quelle tâche vous entreprenez ! Il faut me laisser à ma destinée ; nous n’y pouvons rien, ni vous ni moi. Je ne sais s’il comprit ce langage ; il me serra les mains sans mot dire, et il ne fut plus question de l’allemand.

Je sentis aussitôt que la solitude, loin de me guérir, me perdait, et changeai complètement de système. J’allai à la campagne, je me lançai au galop dans les bois, à la chasse ; je faisais des armes jusqu’à perdre haleine ; je me brisais de fatigue, et lorsqu’après une journée de sueur et de courses j’arrivais le soir à mon lit, sentant l’écurie et la poudre, j’enfonçais ma tête dans l’oreiller, je me roulais dans mes couvertures, et je criais : Fantôme, fantôme, es-tu las aussi ? me quitteras-tu quelque nuit ?

Mais à quoi bon ces vains efforts ? La solitude me renvoyait à la nature, et la nature à l’amour. Lorsqu’à la rue de l’Observance, je me voyais entouré de cadavres, essuyant mes mains sur mon tablier sanglant, pâle au milieu des morts, suffoqué par l’odeur de la putréfaction, je me détournais malgré moi ; je sentais flotter dans mon cœur des moissons verdoyantes, des prairies embaumées, et la pensive harmonie du soir. — Non, me disais-je, ce n’est pas la science qui me consolera ; j’aurai beau me plonger dans cette nature morte, j’y mourrai moi-même, comme un noyé livide dans la peau d’un agneau écorché. Je ne me guérirai pas de ma jeunesse ; allons vivre là où est la vie, ou