Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/104

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Valentin se faisait mille questions qui toutes aboutissaient au même résultat : Elle veut me prier de ne plus revenir chez elle. Une pareille défense, cependant, sur un aussi léger prétexte, le révoltait. Il y trouvait plus que du ridicule ; il y voyait ou une sévérité déplacée, ou une fausse vertu prompte à se faire valoir. — C’est une bégueule ou une coquette, se dit-il. Voilà, madame, comme on juge à vingt-cinq ans.

Madame Delaunay comprenait parfaitement ce qui se passait dans la tête du jeune homme. Elle l’avait bien un peu prévu ; mais, en le voyant, elle perdait courage. Son intention n’était pas tout à fait de défendre sa porte à Valentin ; mais, tout en n’ayant guère d’esprit, elle avait beaucoup de cœur, et elle avait vu clairement, le matin, qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie, et qu’elle allait être attaquée. Les femmes ont un certain tact qui les avertit de l’approche du combat. La plupart d’entre elles s’y exposent ou parce qu’elles se sentent sur leurs gardes, ou parce qu’elles prennent plaisir au danger. Les escarmouches amoureuses sont le passe-temps des belles oisives. Elles savent se défendre, et ont, quand elles veulent, l’occasion de se distraire. Mais madame Delaunay était trop occupée, trop sédentaire, elle voyait trop peu de monde, elle travaillait trop aux ouvrages d’aiguille, qui laissent rêver et font quelquefois rêver ; elle était trop pauvre, en un mot, pour se laisser baiser la main. Non pas qu’aujourd’hui elle se