Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/12

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L’application qu’elle se fit de ces paroles la plongea tout à coup dans un émoi singulier. Elle demeura rêveuse tout le soir, et pour la première fois on la trouva triste.

M. de Marsan arrivait alors de Strasbourg, où était son régiment ; c’était un des plus beaux hommes qu’on pût voir, avec cet air fier et un peu violent que vous lui connaissez. Je ne sais s’il était du dîner où avait paru la robe neuve, mais il fut prié pour une partie de chasse chez madame Duval, qui avait une fort belle terre près de Fontainebleau. Emmeline était de cette partie. Au moment d’entrer dans le bois, le bruit du cor fit emporter le cheval qu’elle montait. Habituée aux caprices de l’animal, elle voulut l’en punir après l’avoir calmé ; un coup de cravache donné trop vivement faillit lui coûter la vie. Le cheval ombrageux se jeta à travers champs, et il entraînait à un ravin profond la cavalière imprudente, quand M. de Marsan, qui avait mis pied à terre, courut l’arrêter ; mais le choc le renversa, et il eut le bras cassé.

Le caractère d’Emmeline, à dater de ce jour, parut entièrement changé. À sa gaieté succéda un air de distraction étrange. Madame Duval étant morte peu de temps après, la terre fut vendue, et on prétendit qu’à la maison du faubourg Saint-Honoré, la petite Duval soulevait régulièrement sa jalousie à l’heure où un beau garçon à cheval passait, allant aux Champs-Élysées. Quoi qu’il en soit, un an après, Emmeline dé-