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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/139

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d’être vrai en n’étant jamais sincère, et l’amant de la marquise n’était pas celui de la veuve.

— Et pourquoi choisir ? me disait-il un jour qu’en nous promenant il essayait de se justifier. Pourquoi cette nécessité d’aimer d’une manière exclusive ? Blâmerait-on un homme de mon âge d’être amoureux de madame de Parnes ? N’est-elle pas admirée, enviée ? ne vante-t-on pas son esprit et ses charmes ? La raison même se passionne pour elle. D’une autre part, quel reproche ferait-on à celui que la bonté, la tendresse, la candeur de madame Delaunay auraient touché ? N’est-elle pas digne de faire la joie et le bonheur d’un homme ? Moins belle, ne serait-elle pas une amie précieuse ; et, telle qu’elle est, y a-t-il au monde une plus charmante maîtresse ? En quoi donc suis-je coupable d’aimer ces deux femmes, si chacune d’elles mérite qu’on l’aime ? Et, s’il est vrai que je sois assez heureux pour compter pour quelque chose dans leur vie, pourquoi ne pourrais-je rendre l’une heureuse qu’en faisant le malheur de l’autre ? Pourquoi le doux sourire que ma présence fait éclore quelquefois sur les lèvres de ma belle veuve devrait-il être acheté au prix d’une larme versée par la marquise ? Est-ce leur faute si le hasard m’a jeté sur leur route, si je les ai approchées, si elles m’ont permis de les aimer ? Laquelle choisirais-je sans être injuste ? En quoi celle-là aurait-elle mérité plus que celle-ci d’être préférée ou abandonnée ? Quand madame Delaunay me dit que son existence entière m’appartient, que voulez-