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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/15

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bien lui faire, et, pour ce qui avait précédé et amené le mariage, on en parla comme d’un caprice dont les bavards firent un roman.

On se demandait pourtant tout bas quelles qualités extraordinaires avaient pu séduire une riche héritière et la déterminer à ce coup de tête. Les gens que le hasard a maltraités ne se figurent pas aisément qu’on dispose ainsi de deux millions sans quelque motif surnaturel. Ils ne savent pas que, si la plupart des hommes tiennent avant tout à la richesse, une jeune fille ne se doute quelquefois pas de ce que c’est que l’argent, surtout lorsqu’elle est née avec, et qu’elle n’a pas vu son père le gagner. C’était précisément l’histoire d’Emmeline ; elle avait épousé M. de Marsan uniquement parce qu’il lui avait plu et qu’elle n’avait ni père ni mère pour la contrarier ; mais, quant à la différence de fortune, elle n’y avait seulement pas pensé. M. de Marsan l’avait séduite par les qualités extérieures qui annoncent l’homme, la beauté et la force. Il avait fait devant elle et pour elle la seule action qui eût fait battre le cœur de la jeune fille ; et, comme une gaieté habituelle s’allie quelquefois à une disposition romanesque, ce cœur sans expérience s’était exalté. Aussi la folle comtesse aimait-elle son mari à l’excès ; rien n’était beau pour elle que lui, et, quand elle lui donnait le bras, rien ne valait la peine qu’elle tournât la tête.

Pendant les quatre premières années après le mariage, on les vit très peu l’un et l’autre. Ils avaient