Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/157

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Valentin, qui de son naturel n’était pas gardeur de rancune, et chez qui le ressentiment passait aussi vite qu’il venait, voulut mettre la conversation sur un ton enjoué, et commença à plaisanter la marquise sur son bal supposé. Elle lui coupa la parole en lui disant : J’ai vu madame Delaunay.

— Ne vous effrayez pas, ajouta-t-elle, voyant Valentin changer de visage ; je l’ai vue sans qu’elle sût qui j’étais et de manière à ce qu’elle ne puisse me reconnaître. Elle est jolie, et il est vrai qu’elle me ressemble un peu. Parlez-moi franchement : l’aimiez-vous déjà quand vous m’avez envoyé une lettre qui était écrite pour elle ?

Valentin hésitait.

— Parlez, parlez sans crainte, dit la marquise. C’est le seul moyen de me prouver que vous avez quelque estime pour moi.

Elle avait prononcé ces mots avec tant de tristesse, que Valentin en fut ému. Il s’assit près d’elle, et lui conta fidèlement tout ce qui s’était passé dans son cœur. — Je l’aimais déjà, lui dit-il enfin, et je l’aime encore ; c’est la vérité.

— Rien n’est plus possible entre nous, répondit la marquise en se levant. Elle s’approcha d’une glace, se renvoya à elle-même un regard coquet.

— J’ai fait pour vous, continua-t-elle, la seule action de ma vie où je n’ai réfléchi à rien. Je ne m’en repens pas, mais je voudrais n’être pas seule à m’en souvenir quelquefois.