Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/160

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dans la nécessité de perdre l’une ou l’autre ? Suis-je fou ? Ai-je ma raison ? Suis-je perfide ou sincère ? Ai-je trop peu de courage ou trop peu d’amour ?

Il se mit à table, et, prenant le dessin qu’il avait fait autrefois, il considéra attentivement ce portrait infidèle qui ressemblait à ses deux maîtresses. Tout ce qui lui était arrivé depuis deux mois se représenta à son esprit : le pavillon et la chambrette, la robe d’indienne et les blanches épaules, les grands dîners et les petits déjeuners, le piano et l’aiguille à tricoter, les deux mouchoirs, le coussin brodé, il revit tout. Chaque heure de sa vie lui donnait un conseil différent. — Non, se dit-il enfin, ce n’est pas entre deux femmes que j’ai à choisir, mais entre deux routes que j’ai voulu suivre à la fois, et qui ne peuvent mener au même but : l’une est la folie et le plaisir, l’autre est l’amour ; laquelle dois-je prendre ? laquelle conduit au bonheur ?

Je vous ai dit, en commençant ce conte, que Valentin avait une mère qu’il aimait tendrement. Elle entra dans sa chambre tandis qu’il était plongé dans ces pensées.

— Mon enfant, lui dit-elle, je vous ai vu triste ce matin. Qu’avez-vous ? Puis-je vous aider ? Avez-vous besoin de quelque argent ? Si je ne puis vous rendre service, ne puis-je du moins savoir vos chagrins et tenter de vous consoler ?

— Je vous remercie, répondit Valentin. Je faisais des projets de voyage, et je me demandais qui doit nous