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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/18

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du marbre des figures, des animaux, des paysages, mille aliments de rêveries, et, perdue dans cette contemplation, elle se brûle le bout du pied avec sa pincette rougie au feu.

Voilà de vraies folies, allez-vous dire ; ce n’est pas un roman que je fais, madame, et vous vous en apercevez bien.

Comme, malgré ses folies, elle avait de l’esprit, il se trouva que, sans qu’elle y pensât, il s’était formé au bout de quelque temps un cercle de gens d’esprit autour d’elle. M. de Marsan, en 1829, fut obligé d’aller en Allemagne pour une affaire de succession qui ne lui rapporta rien. Il ne voulut point emmener sa femme et la confia à la marquise d’Ennery, sa tante, qui vint loger au Moulin de May. Madame d’Ennery était d’humeur mondaine ; elle avait été belle aux beaux jours de l’empire, et elle marchait avec une dignité folâtre, comme si elle eût traîné une robe à queue. Un vieil éventail à paillettes, qui ne la quittait pas, lui servait à se cacher à demi lorsqu’elle se permettait un propos grivois, qui lui échappait volontiers ; mais la décence restait toujours à portée de sa main, et, dès que l’éventail se baissait, les paupières de la dame en faisaient autant. Sa façon de voir et de parler étonna d’abord Emmeline à un point qu’on ne peut se figurer ; car, avec son étourderie, madame de Marsan était restée d’une innocence rare. Les récits plaisants de sa tante, la manière dont celle-ci envisageait le mariage, ses