Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/182

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vré sa gaieté ; il se disait qu’après tout ce n’était pas sa faute si une légère intrigue avait eu un dénoûment sinistre ; que tout autre à sa place eût agi comme lui, et qu’enfin il faut oublier ce qu’il est impossible de réparer. Il commença à trouver du plaisir à voir tous les jours mademoiselle Darcy ; elle lui parut plus belle qu’au premier abord. Il ne changea pas de conduite auprès d’elle ; mais il mit peu à peu dans ses discours et dans ses protestations d’amitié une chaleur à laquelle on ne pouvait se méprendre. Aussi la jeune personne ne s’y méprit-elle pas ; l’instinct féminin l’avertit promptement de ce qui se passait dans le cœur de Frédéric. Elle en fut flattée et presque touchée ; mais, soit qu’elle fût plus constante que lui, soit qu’elle ne voulût pas revenir sur sa parole, elle prit la détermination de rompre entièrement avec lui et de lui ôter toute espérance. Il fallait attendre pour cela qu’il s’expliquât plus clairement, et l’occasion s’en présenta bientôt.

Un soir que Frédéric s’était montré plus enjoué qu’à l’ordinaire, mademoiselle Darcy, pendant qu’on prenait le thé, alla s’asseoir dans une petite pièce reculée. Une certaine disposition romanesque, qui est souvent naturelle aux femmes, prêtait ce jour-là à son regard et à sa parole un attrait indéfinissable. Sans se rendre compte de ce qu’elle éprouvait, elle se sentait la faculté de produire une impression violente, et elle cédait à la tentation d’user de sa puissance, dût-elle en souffrir