Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/185

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croyez-moi, vous aimerez un jour, et ce jour-là, si vous vous souvenez de moi, vous aurez peut-être quelque estime pour celle qui a osé vous parler ainsi. Vous saurez alors ce que c’est que l’amour.

Mademoiselle Darcy se leva à ces paroles, et sortit. Elle avait vu le trouble de Frédéric et l’effet que son discours produisait sur lui ; elle le laissa plein de tristesse. Le pauvre garçon était trop inexpérimenté pour supposer que, dans une déclaration aussi formelle, il pût y avoir de la coquetterie. Il ne connaissait pas les mobiles étranges qui gouvernent quelquefois les actions des femmes ; il ne savait pas que celle qui veut réellement refuser se contente de dire non, et que celle qui s’explique veut être convaincue.

Quoi qu’il en soit, cette conversation eut sur lui la plus fâcheuse influence. Au lieu de chercher à persuader mademoiselle Darcy, il évita, les jours suivants, toute occasion de lui parler seul à seul. Trop fière pour se repentir, elle le laissa s’éloigner en silence. Il alla trouver son père, et lui parla de la nécessité de faire son stage. Quant au mariage, ce fut mademoiselle Darcy qui se chargea de répondre la première ; elle n’osa refuser tout à fait, de peur d’irriter sa famille, mais elle demanda qu’on lui donnât le temps de réfléchir, et elle obtint qu’on la laisserait tranquille pendant un an. Frédéric se disposa donc à retourner à Paris ; on augmenta un peu sa pension, et il quitta Besançon plus triste encore qu’il n’y était venu. Le souvenir du der-