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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/188

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n’était pas d’une partie qu’il ne voulût y emmener Frédéric. Celui-ci résistait le plus possible, et finissait par se laisser conduire. Il fit donc connaissance avec un monde qui lui était inconnu ; il vit de près des actrices, des danseuses, et l’approche de ces divinités est d’un effet immense sur un provincial ; il se lia avec des joueurs, des étourdis, des gens qui parlaient en souriant de deux cents louis qu’ils avaient perdus la veille ; il lui arriva de passer la nuit avec eux, et il les vit, le jour venu, après douze heures employées à boire et à remuer des cartes, se demander, en faisant leur toilette, quels seraient les plaisirs de la journée. Il fut invité à des soupers où chacun avait à ses côtés une femme à soi appartenant, à laquelle on ne disait mot, et qu’on emmenait en sortant comme on prend sa canne et son chapeau. Bref, il assista à tous les travers, à tous les plaisirs de cette vie légère, insouciante, à l’abri de la tristesse, que mènent seuls quelques élus qui ne semblent appartenir que par la jouissance au reste de la race humaine.

Il commença par s’en trouver bien, en ce qu’il y perdit toute humeur chagrine et tout souvenir importun. Et, en effet, il n’y a pas moyen, dans une sphère pareille, d’être seulement préoccupé ; il faut se divertir ou s’en aller. Mais Frédéric se fit tort en même temps, en ce qu’il perdit la réflexion et ses habitudes d’ordre, la suprême sauvegarde. Il n’avait pas de quoi jouer longtemps, et il joua ; son malheur voulut qu’il com-