Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/205

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la cause ; pour tromper les autres sur son compte, il dissimula avec lui-même, et par faiblesse ou par nécessité laissa faire la destinée.

Il ne changea cependant pas de langage auprès de Bernerette ; il lui parlait toujours de son prochain départ ; mais, tout en parlant, il ne partait pas, et il allait chez elle tous les jours. Quand il eut l’habitude de l’escalier, il ne trouva plus l’allée si obscure ; les deux chambrettes, qui lui avaient semblé d’abord si tristes, lui parurent gaies ; le soleil y donnait le matin, et leur petite dimension les rendait plus chaudes ; on y trouva la place d’un piano de louage. Il y avait dans le voisinage un bon restaurant d’où l’on faisait apporter à dîner. Bernerette avait un talent que les femmes seules possèdent quelquefois, celui d’être à la fois étourdie et économe ; mais elle y joignait un mérite bien plus rare encore, celui d’être contente de tout, et d’avoir pour toute opinion l’envie de faire plaisir aux autres.

Il faut dire aussi ses défauts ; sans être paresseuse, elle vivait dans une oisiveté inconcevable. Après s’être acquittée avec une prestesse surprenante des soins de son petit ménage, elle passait la journée entière, les bras croisés, sur son canapé. Elle parlait de coudre et de broder comme Frédéric parlait de partir, c’est-à-dire qu’elle n’en faisait rien. Malheureusement bien des femmes sont ainsi, surtout dans une certaine classe qui aurait précisément besoin d’occupation plus que