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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/210

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vaut mieux supporter quelque ennui que de s’exposer à des malheurs réels.

Il ne dissimula point le chagrin qu’il ressentait d’être séparé de Bernerette, et Gérard ne put que le plaindre et le féliciter en même temps de la détermination qu’il avait prise.

À la mi-carême, il alla au bal de l’Opéra. Il y trouva peu de monde. Ce dernier adieu aux plaisirs n’avait pas même la douceur d’un souvenir. L’orchestre, plus nombreux que le public, jouait dans le désert les contredanses de l’hiver. Quelques masques erraient dans le foyer ; à leur tournure et à leur langage, on s’apercevait que les femmes de bonne compagnie ne viennent plus à ces fêtes oubliées. Frédéric allait se retirer, lorsqu’un domino s’assit près de lui. Il reconnut Bernerette, et elle lui dit qu’elle n’était venue que dans l’espoir de le rencontrer. Il lui demanda ce qu’elle avait fait depuis qu’il ne l’avait vue ; elle lui répondit qu’elle avait l’espoir de rentrer au théâtre ; elle apprenait un rôle pour débuter. Frédéric fut tenté de l’emmener souper ; mais il pensa à la facilité avec laquelle il s’était laissé entraîner, à son retour de Besançon, par une occasion pareille ; il lui serra la main et sortit seul de la salle.

On a dit que le chagrin vaut mieux que l’ennui ; c’est un triste mot malheureusement vrai. Une âme bien née trouve contre le chagrin, quel qu’il soit, de l’énergie et du courage ; une grande douleur est souvent un grand bien. L’ennui, au contraire, ronge et détruit