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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/220

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Puisqu’il est prouvé qu’un autre amour l’occupe, à quoi bon le lui faire avouer ? Une femme n’est jamais sincère sur ce sujet avec un ancien amant, même lorsque tout rapprochement est impossible. Qu’espères-tu d’ailleurs ? elle ne t’aime plus.

C’était à dessein et pour rendre à son ami un peu de force, que Gérard s’exprimait en termes aussi durs. Je laisse à ceux qui ont aimé à juger l’effet qu’ils pouvaient produire. Mais bien des gens ont aimé qui ne le savent pas. Les liens de ce monde, même les plus forts, se dénouent la plupart du temps ; quelques-uns seulement se brisent. Ceux dont l’absence, l’ennui, la satiété, ont affaibli peu à peu les amours, ne peuvent se figurer ce qu’ils eussent éprouvé si un coup subit les avait frappés. Le cœur le plus froid saigne et s’ouvre à ce coup ; qui y reste insensible n’est pas homme. De toutes les blessures que la mort nous fait ici-bas avant de nous abattre, c’est la plus profonde. Il faut avoir regardé avec des yeux pleins de larmes le sourire d’une maîtresse infidèle, pour comprendre ces mots : Elle ne t’aime plus ! Il faut avoir longtemps pleuré pour s’en souvenir ; c’est une triste expérience. Si je voulais tenter d’en donner une idée à ceux qui l’ignorent, je leur dirais que je ne sais pas lequel est le plus cruel de perdre tout à coup la femme qu’on aime, par son inconstance ou par sa mort.

Frédéric ne pouvait rien répondre aux sévères conseils de Gérard ; mais un instinct plus fort que la raison