Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/227

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— Mon parti est pris, lui dit-il ; je ne sais ce que mon père en dira, mais je l’aime, et, quoi qu’il arrive, je ne la laisserai pas mourir.

Il prit, en effet, un parti dangereux, mais le seul qui s’offrît à lui. Il écrivit à son père, et lui confia l’histoire de ses amours. Il oublia dans sa lettre l’infidélité de Bernerette ; il ne parla que de sa beauté, de sa constance, de la douce opiniâtreté qu’elle avait mise à le revoir ; enfin de l’horrible tentative qu’elle venait de faire sur elle-même. Le père de Frédéric, vieillard septuagénaire, aimait son fils unique plus que sa propre vie. Il accourut en toute hâte à Paris, accompagné de mademoiselle Hombert, sa sœur, vieille demoiselle fort dévote. Malheureusement ni le digne homme ni la bonne tante n’avaient pour vertu la discrétion, en sorte que, dès leur arrivée, toutes leurs connaissances surent que Frédéric était amoureux fou d’une grisette qui s’était empoisonnée pour lui. On ajouta bientôt qu’il voulait l’épouser ; les malveillants crièrent au scandale, au déshonneur de la famille ; sous prétexte de défendre la cause du jeune homme, mademoiselle Darcy raconta tout ce qu’elle savait, avec les détails les plus romanesques. Bref, en voulant conjurer l’orage, Frédéric le vit fondre sur sa tête de tous côtés.

Il eut d’abord à comparaître devant les parents et les amis rassemblés, et à y subir une sorte d’interrogatoire : non qu’il fût traité en coupable, on lui témoignait au contraire toute l’indulgence possible ; mais il lui fallut