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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/236

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« Je ne me tue pas, mon ami, je m’achève ; ce n’est pas un grand meurtre que je fais. Ma santé est déplorable, à jamais perdue. Tout cela ne serait rien sans l’ennui. On dit que tu te maries : est-elle belle ? Adieu, adieu. Souviens-toi, quand il fera beau temps, du jour où tu arrosais tes fleurs. Ah ! comme je t’ai aimé vite ! En te voyant, c’était un soubresaut en moi, une pâleur qui me prenait. J’ai été bien heureuse avec toi. Adieu.

« Si ton père l’avait voulu, nous ne nous serions jamais quittés ; mais tu n’avais point d’argent, voilà le malheur, et moi non plus. Quand j’aurais été chez une lingère, je n’y serais pas restée ; ainsi, que veux-tu ? Voilà maintenant deux essais que je fais de recommencer : rien ne me réussit.

« Je t’assure que ce n’est pas par folie que je veux mourir : j’ai toute ma raison. Mes parents (que Dieu leur pardonne !) sont encore revenus. Si tu savais ce qu’on veut faire de moi ! C’est trop dégoûtant d’être un jouet de misère et de se voir tirailler ainsi. Quand nous nous sommes aimés autrefois, si nous avions eu plus d’économie, cela aurait mieux été. Mais tu voulais aller au spectacle et nous amuser. Nous avons passé de bonnes soirées à la Chaumière.

« Adieu, mon cher, pour la dernière fois, adieu. Si je me portais mieux, je serais rentrée au théâtre ; mais je n’ai plus que le souffle. Ne te fais jamais reproche de ma mort ; je sens bien que, si tu avais pu,