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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/245

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incendie récent venait de détruire, au milieu des eaux, la demeure d’un patricien. Des gerbes d’étincelles s’élevaient par instants, et, à cette clarté sinistre, on apercevait un soldat sous les armes veillant au milieu des ruines.

Cependant notre jeune homme ne semblait frappé ni de ce spectacle de destruction, ni de la beauté du ciel qui se teignait des plus fraîches nuances. Il regarda quelque temps l’horizon, comme pour distraire ses yeux éblouis ; mais la clarté du jour parut produire sur lui un effet désagréable, car il s’enveloppa dans son manteau et poursuivit sa route en courant. Il s’arrêta bientôt de nouveau à la porte d’un palais où il frappa. Un valet, tenant un flambeau à la main, lui ouvrit aussitôt. Au moment d’entrer, il se retourna, et jetant sur le ciel encore un regard :

— Par Bacchus ! s’écria-t-il, mon carnaval me coûte cher !

Ce jeune homme se nommait Pomponio Filippo Vecellio. C’était le second fils du Titien, enfant plein d’esprit et d’imagination, qui avait fait concevoir à son père les plus heureuses espérances, mais que sa passion pour le jeu entraînait dans un désordre continuel. Il y avait quatre ans seulement que le grand peintre et son fils aîné, Orazio, étaient morts presque en même temps, et le jeune Pippo, depuis quatre ans, avait déjà dissipé la meilleure part de l’immense fortune que lui avait donnée ce double héritage. Au lieu de cultiver les ta-