Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/290

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— Écoute-moi, dit-elle, et ne raille pas. Le seul tableau que tu aies fait a été admiré. Il n’y a personne qui n’en regrette la perte ; mais la vie que tu mènes est quelque chose de pire que l’incendie du palais Dolfin, car elle te consume toi-même. Tu ne penses qu’à te divertir, et tu ne réfléchis pas que ce qui est un égarement pour les autres est pour toi une honte. Le fils d’un marchand enrichi peut jouer aux dés, mais non le Tizianello. À quoi sert que tu en saches autant que nos plus vieux peintres, et que tu aies la jeunesse qui leur manque ? Tu n’as qu’à essayer pour réussir et tu n’essayes pas. Tes amis te trompent, mais je remplis mon devoir en te disant que tu outrages la mémoire de ton père ; et qui te le dirait, si ce n’est moi ? Tant que tu seras riche, tu trouveras des gens qui t’aideront à te ruiner ; tant que tu seras beau, les femmes t’aimeront ; mais qu’arrivera-t-il si, pendant que tu es jeune, on ne te dit pas la vérité ? Je suis votre maîtresse, mon cher seigneur, mais je veux être aussi votre amante. Plût à Dieu que vous fussiez né pauvre ! Si vous m’aimez, il faut travailler. J’ai trouvé dans un quartier éloigné de la ville une petite maison retirée, où il n’y a qu’un étage. Nous la ferons meubler, si vous voulez, à notre goût, et nous en aurons deux clefs : l’une sera pour vous, et je garderai l’autre. Là, nous n’aurons peur de personne, et nous serons en liberté. Vous y ferez porter un chevalet ; si vous me promettez d’y venir travailler seulement deux heures par jour, j’irai vous y