Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/33

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même monde, ils avaient tous deux nécessairement mille occasions de s’écrire pour des motifs légers ; ces billets indifférents, soumis aux lois de la cérémonie, trouvaient toujours moyen de renfermer un mot, une pensée, qui donnaient à rêver. Gilbert restait souvent une matinée avec une lettre de madame de Marsan ouverte sur la table ; et, malgré lui, de temps en temps il y jetait les yeux. Son imagination excitée lui faisait chercher un sens particulier aux choses les plus insignifiantes. Emmeline signait quelquefois en italien : Vostrissima ; et il avait beau n’y voir qu’une formule amicale, il se répétait que ce mot voulait pourtant dire : toute à vous.

Sans être homme à bonnes fortunes comme M. de Sorgues, Gilbert avait eu des maîtresses : il était loin de professer pour les femmes cette apparence de mépris précoce que les jeunes gens prennent pour une mode ; mais il avait sa façon de penser, et je ne vous l’expliquerai pas autrement qu’en vous disant que la comtesse de Marsan lui paraissait une exception. Assurément, bien des femmes sont sages ; je me trompe, madame, elles le sont toutes ; mais il y a manière de l’être. Emmeline à son âge, riche, jolie, un peu triste, exaltée sur certains points, insouciante à l’excès sur d’autres, environnée de la meilleure compagnie, pleine de talents, aimant le plaisir, tout cela semblait au jeune homme d’étranges éléments de sagesse. — Elle est belle pourtant ! se disait-il, tandis que par les