Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/334

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Margot : un de mes compagnons de voyage me fit une description de Gênes, que j’allais voir ; il mentait sur le bateau qui nous y conduisait, il mentait en vue de la ville, et il mentait encore dans le port.

Les voitures qui viennent de Chartres entrent à Paris par les Champs-Élysées. Je laisse à penser l’admiration d’une Beauceronne à l’aspect de cette magnifique entrée qui n’a pas sa pareille au monde, et qu’on dirait faite pour recevoir un héros triomphant, maître du reste de l’univers. Les tranquilles et étroites rues du Marais parurent ensuite bien tristes à Margot. Cependant, quand son fiacre s’arrêta devant la porte de madame Doradour, la belle apparence de la maison l’enchanta. Elle souleva le marteau d’une main tremblante, et frappa avec une crainte mêlée de plaisir. Madame Doradour attendait sa filleule ; elle la reçut à bras ouverts, lui fit mille caresses, l’appela sa fille, l’installa dans une bergère, et lui fit d’abord donner à souper.

Étourdie du bruit de la route, Margot regardait les tapisseries, les lambris et les meubles dorés, mais surtout les belles glaces qui décoraient le salon. Elle qui ne s’était jamais coiffée que dans le miroir à barbe de son père, il lui semblait charmant et prodigieux de voir son image répétée autour d’elle de tant de manières différentes. Le ton délicat et poli de sa marraine, ses expressions nobles et réservées, lui faisaient aussi une grande impression. Le costume même de la bonne dame, son ample robe de pou-de-soie à fleurs,