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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/349

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parc, lorsque sa famille fut partie. Mais quelle hardiesse ont les garçons pour dire des choses pareilles devant tout le monde ! Moi qui n’ose pas le regarder en face, comment se fait-il qu’il me dise tout haut une chose que je ne puis entendre sans rougir ? Il faut que ce soit chez lui une grande habitude, ou qu’il le regarde comme indifférent : et pourtant, dire à une femme qu’on la trouve jolie, c’est beaucoup, cela ressemble un peu à une déclaration d’amour.

À cette pensée, Margot s’arrêta, et se demanda ce que c’était, au juste, qu’une déclaration d’amour. Elle en avait beaucoup entendu parler, mais elle ne s’en rendait pas compte bien clairement. Comment dit-on qu’on aime ? se demanda-t-elle, et elle ne pouvait se figurer que ce fût seulement en disant : Je vous aime. Il lui semblait que ce devait être bien autre chose, qu’il devait y avoir pour cela un secret, un langage particulier, quelque mystère plein de péril et de charme. Elle n’avait jamais lu qu’un roman, j’ignore quel en était le titre ; c’était un volume dépareillé qu’elle avait trouvé dans le grenier de son père ; il y était question d’un brigand sicilien qui enlevait une religieuse, et il s’y trouvait bien quelques phrases inintelligibles qu’elle avait jugées devoir être des paroles d’amour ; mais elle avait entendu dire au curé que tous les romans n’étaient que des sottises, et c’était la vérité seule qu’elle brûlait de connaître ; mais à qui oser la demander ?

La chambre de Gaston, à la Honville, n’était plus si