Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/35

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de ses résolutions solitaires, et il y avait grande foule ce jour-là, les lustres allumés, toutes les portes ouvertes, cercle énorme à la cheminée, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre ; ce n’était pas un lieu à billets doux. Gilbert s’approcha, non sans peine, de la maîtresse de la maison ; après avoir causé de choses indifférentes avec elle et ses voisines un quart d’heure, il tira de sa poche un papier plié qu’il s’amusait à chiffonner. Comme ce papier, tout chiffonné qu’il était, avait pourtant un air de lettre, il s’attendait qu’on le remarquerait ; quelqu’un le remarqua, en effet, mais ce ne fut pas Emmeline. Il le remit dans sa poche, puis l’en tira de nouveau ; enfin la comtesse y jeta les yeux et lui demanda ce qu’il tenait. — Ce sont, lui dit-il, des vers de ma façon que j’ai faits pour une belle dame, et je vous les montrerais si vous me promettiez que, dans le cas où vous devineriez qui c’est, vous ne me nuirez pas dans son esprit.

Emmeline prit le papier et lut les stances suivantes :

À NINON

Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ; —
Peut-être cependant que vous m’en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des vœux insensés : —