Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/357

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Je n’oserai plus le regarder en face. C’était déjà une grande faute de l’avoir touché la première fois, mais c’est bien pis maintenant. Comment pourrais-je prouver que je ne l’ai pas fait exprès ? Les garçons ne veulent jamais rien croire. Il va se moquer de moi et le dire à tout le monde, à ma marraine peut-être, et ma marraine le dira à mon père ; je ne pourrai plus me montrer dans le pays. Où irai-je ? que vais-je devenir ? J’aurai beau me défendre, il est certain que je l’ai touché deux fois, et que jamais une femme n’a fait une chose pareille. Après ce qui vient de se passer, le moins qu’il puisse m’arriver, c’est de sortir de la maison. À cette idée, Margot frissonna. Elle chercha longtemps dans sa tête quelque moyen de se justifier ; elle fit le projet d’écrire le lendemain une grande lettre à Gaston, qu’elle lui ferait remettre en secret, et dans laquelle elle lui expliquerait que c’était par mégarde qu’elle avait posé son pied sur sa main, qu’elle lui en demandait pardon, et qu’elle le priait de l’oublier. — Mais s’il ne dort pas ? pensa-t-elle encore ; s’il se doute que je l’aime ? s’il m’a devinée ? si c’était lui qui vînt demain me parler le premier de notre aventure ? s’il me disait qu’il m’aime aussi ? s’il me faisait une déclaration ?… La voiture s’arrêta en ce moment. Gaston, qui dormait en conscience, étendit les bras en se réveillant avec fort peu de cérémonie. Il lui fallut quelque temps pour se rappeler où il était ; à cette triste découverte, les rêveries de Mar-