Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/377

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vait dans le voisinage ; toutefois il suivit le cours de l’eau avec un pressentiment de mauvais augure. L’Eure était enflée ce jour-là par des pluies abondantes, et Pierrot, qui n’était pas gai, trouvait les flots plus sinistres que de coutume. Il lui sembla bientôt apercevoir quelque chose de blanc qui s’agitait dans les roseaux ; il s’approcha, et, s’étant mis à plat ventre sur le rivage, il attira à lui un cadavre qui n’était pas autre que Margot elle-même : la malheureuse fille ne donnait plus aucun signe de vie ; elle était sans mouvement, froide comme le marbre, les yeux ouverts et immobiles.

À cette vue, Pierrot poussa des cris qui firent sortir du moulin tous ceux qui s’y trouvaient. Sa douleur fut si violente, qu’il eut d’abord l’idée de se jeter à l’eau à son tour et de mourir à côté du seul être qu’il eût aimé. Il fit cependant réflexion qu’on lui avait dit que les noyés pouvaient revenir à la vie s’ils étaient secourus à temps. Les paysans affirmèrent, il est vrai, que Margot était morte sans retour, mais il ne voulut pas les en croire, ni les laisser déposer le corps dans le moulin ; il le chargea sur ses épaules, et, marchant aussi vite qu’il put, il le porta dans la masure qu’il habitait. Le ciel voulut que, dans sa route, il rencontrât le médecin du village, qui s’en allait à cheval faire ses visites aux environs : il l’arrêta et l’obligea à entrer chez lui, afin d’examiner s’il restait quelque espoir.

Le médecin fut du même avis que les paysans ; à