Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/43

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pour m’asseoir là ; on vient de me l’apporter tout à l’heure, et je vais vous faire un peu de musique, pour que vous en ayez l’étrenne.

Elle préludait doucement par de vagues mélodies, et Gilbert reconnut bientôt son air favori, le Désir, de Beethoven. S’oubliant peu à peu, Emmeline répandit dans son exécution l’expression la plus passionnée, pressant le mouvement à faire battre le cœur, puis s’arrêtant tout à coup comme si la respiration lui eût manqué, forçant le son et le laissant s’éteindre. Nulles paroles n’égaleront jamais la tendresse d’un pareil langage. Gilbert était debout, et de temps en temps les beaux yeux se levaient pour le consulter. Il s’appuya sur l’angle du piano, et tous deux luttaient contre le trouble, quand un accident presque ridicule vint les tirer de leur rêverie.

Le tabouret cassa tout à coup, et Emmeline tomba aux pieds de Gilbert. Il s’élança pour lui tendre la main ; elle la prit et se releva en riant ; il était pâle comme un mort, craignant qu’elle ne se fût blessée. — C’est bon, dit-elle, donnez-moi une chaise ; ne dirait-on pas que je suis tombée d’un cinquième ?

Elle se mit à jouer une contredanse, et, tout en jouant, à le plaisanter sur la peur qu’il avait eue. — N’est-il pas tout simple, lui dit-il, que je m’effraye de vous voir tomber ? — Bah ! répondait-elle, c’est un effet nerveux ; ne croyez-vous pas que j’en suis reconnaissante ? Je conviens que ma chute est ridicule, mais