Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/79

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l’habit quand la poche est vide ? Les trois quarts du temps il en était là. Trop fier pour vivre en parasite, il prenait à tâche de dissimuler ses secrets motifs de sagesse, refusait dédaigneusement des parties de plaisir où il ne pouvait payer son écot, et s’étudiait à ne toucher aux riches que dans ses jours de richesse.

Ce rôle, difficilement soutenu, tomba devant la volonté paternelle ; il fallut choisir un état. Valentin entra dans une maison de banque. Le métier de commis ne lui plaisait guère, encore moins le travail quotidien. Il allait au bureau l’oreille basse ; il avait fallu renoncer aux amis en même temps qu’à la liberté ; il n’en était pas honteux, mais il s’ennuyait. Quand arrivait, comme dit André Chénier, le jour de la veine dorée, une sorte de fièvre le saisissait. Qu’il eût des dettes à payer ou quelque emplette utile à faire, la présence de l’or le troublait à tel point, qu’il en perdait la réflexion. Dès qu’il voyait briller dans ses mains un peu de ce rare métal, il sentait son cœur tressaillir, et ne pensait plus qu’à courir, s’il faisait beau. Quand je dis courir, je me trompe ; on le rencontrait, ce jour-là, dans une bonne voiture de louage, qui le menait au Rocher de Cancale ; là, étendu sur les coussins, respirant l’air ou fumant son cigare, il se laissait bercer mollement, sans jamais songer à demain. Demain, pourtant, c’était l’ordinaire, il fallait redevenir commis ; mais peu lui importait, pourvu qu’à tout prix il eût satisfait son imagination. Les appointements du mois s’envolaient ainsi en un