Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/102

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même. Son orgueil maternel était si flatté de la beauté de sa fille, qu’il fut impossible de l’en séparer ; il était vrai que l’on n’avait vu que bien rarement à un enfant nouveau-né des traits aussi réguliers et aussi remarquables ; ses yeux surtout, lorsqu’ils s’ouvrirent à la lumière, brillèrent d’un éclat extraordinaire. Cécile, qui avait été élevée au couvent, était extrêmement pieuse. Ses premiers pas, dès qu’elle put se lever, furent pour aller à l’église rendre grâces à Dieu.

Cependant, l’enfant commença à prendre des forces et à se développer. À mesure qu’elle grandissait, on fut surpris de lui voir garder une immobilité étrange. Aucun bruit ne semblait la frapper ; elle était insensible à ces mille discours que les mères adressent à leurs nourrissons ; tandis qu’on chantait en la berçant, elle restait les yeux fixes et ouverts, regardant avidement la clarté de la lampe, et ne paraissant rien entendre. Un jour qu’elle était endormie, une servante renversa un meuble ; la mère accourut aussitôt, et vit avec étonnement que l’enfant ne s’était pas réveillée. Le chevalier fut effrayé de ces indices trop clairs pour qu’on pût s’y tromper. Dès qu’il les eut observés avec attention, il comprit à quel malheur sa fille était condamnée. La mère voulut en vain s’abuser, et, par tous les moyens imaginables, détourner les craintes de son mari. Le médecin fut appelé, et l’examen ne fut ni long ni difficile. On reconnut que la pauvre Camille était privée de l’ouïe, et par conséquent de la parole.